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Pierre Claude PAULMIER, tué à la bataille de Granville en 1793 (Première partie)

  • Photo du rédacteur: Régis COUDRET
    Régis COUDRET
  • 26 févr.
  • 9 min de lecture
La bataille de Granville, par Jean-François Hue – 1800  (source : Wikimanche)
La bataille de Granville, par Jean-François Hue – 1800 (source : Wikimanche)

Introduction


En Août 2023, j’ai eu l’occasion de vous parler de Marie BARABE, mon ancêtre morte à la prison du Calvaire à Angers le 18 Février 1794. Elle était la veuve de Pierre François PAULMIER, Procureur du Roi, décédé en 1771.

Parmi les autres PAULMIER, victimes de la Terreur, il y eut Pierre Claude, leur fils aîné, tué à l'âge de 35 ans à la bataille de Granville le 15 Novembre 1793. Il combattait alors dans les rangs royalistes [1].

Avant de connaître cette fin tragique, ce fils de bonne famille avait mené une vie « quelque peu dissipée ». Dix ans plus tôt, il s'était créé des dettes au jeu. Son oncle et tuteur, Claude Louis Charles PAULMIER, Lieutenant à l’Election d’Angers, l'envoya en Avril 1783, rejoindre le Corps de l'Oratoire de Jésus et de Marie à Paris. Il cherchait sans doute à le protéger de ses créanciers. Au cours de cette retraite, Pierre Claude démarra une correspondance [2] avec sa sœur Marie Charlotte [3]. Quelques extraits nous sont parvenus et permettront au lecteur de mieux comprendre ce qui a amené cet Oratorien, à s'enrôler au moment de la Révolution dans la Garde nationale, avant de suivre l'Armée catholique et royale dans leur fatale virée, dite de Galerne.

Arbre de descendance de Pierre François PAULMIER, Procureur du Roi  (source : Geneatique)
Arbre de descendance de Pierre François PAULMIER, Procureur du Roi (source : Geneatique)

Pierre Claude PAULMIER entre à l'Oratoire


Pierre Claude est né le 17 Août 1758 à Beaulieu. On ne sait rien de sa jeunesse si ce n'est qu'il n’avait que douze ans au moment du décès de son père. Il vécut alors auprès de sa mère, Marie BARABE, tantôt à Beaulieu dans une maison qu'elle possédait, tantôt à Angers, d'où les PAULMIER étaient originaires ou encore au Thoureil chez sa tante Charlotte. A 24 ans, Pierre Claude avait obtenu une licence « es lois », mais aussi pas mal de dettes au jeu.

Vue de la Maison de l’église des Pères de l'Oratoire, eau-forte de Jean Marot  (source : Wikipedia)
Vue de la Maison de l’église des Pères de l'Oratoire, eau-forte de Jean Marot (source : Wikipedia)

Le 22 Avril 1783, le voici montant à Paris fuyant ses créanciers. Cela lui prend deux jours et demi pour aller en diligence d’Angers à Paris [4]. Pierre Claude fait d’abord étape « huit lieues » après Le Mans, puis à Chartres, où « nous vînmes souper », après avoir admiré « la beauté et la hauteur du clocher au clair de la lune ». Enfin, « à deux heures sonnantes » le lendemain, il descend au bureau de la messagerie de la capitale. Pierre Claude arrive « dans sa nouvelle retraite » avec une « bonne envie de dormir, car cette maudite voiture marchait si pesamment que je croyais qu’elle me disloquerait tous les membres ».

Victor Venner, « La diligence devant l'auberge »,  (source : Coutaubegarie)
Victor Venner, « La diligence devant l'auberge », (source : Coutaubegarie)
Portrait d’une jeune femme au XVIIIème siècle (source : Printerest)
Portrait d’une jeune femme au XVIIIème siècle (source : Printerest)

Malgré l’air de Paris « si funeste », Pierre Claude s’enthousiasme pour son nouveau cadre de vie à l’Oratoire : « Nous avons un jardin d’une grande beauté. Notre nourriture est bonne vu la pension modique ». Cependant, il trouve sa manière de vivre un peu rude, même si : « avec cent écus je serai un des plus riches de l’Oratoire ». En somme, Pierre Claude ne regrette pas d’avoir pris le parti de quitter Angers, tout en sachant qu’ « on aura bien jasé en apprenant mon départ et mon projet ». Il prend quand même des précautions, en demandant à sa sœur de ne pas lui écrire par la poste sans qu’il ne lui demande, car « nos supérieurs ont le privilège de lire nos lettres avant nous ». Il sait qu’il va vivre en vrai « anachorète » [5], mais cela ne l’empêche pas de penser aux belles Angevines et plus spécialement à une Mademoiselle LAPATRIE, dont il dit que « le silence qu’on observe ici me fait penser souvent à elle ». Il embrasse sa chère sœur de tout son cœur, « cela m’est encore permis, je n’ai pas encore endossé la robe » .


Pierre Claude PAULMIER, Oratorien


Extrait de « Histoire et costumes des ordres religieux » (source : Google e-books)
Extrait de « Histoire et costumes des ordres religieux » (source : Google e-books)

Pierre Claude endosse la « vénérable robe » des Oratoriens le 3 Mai 1783 [6]. Dans un premier temps, il se plie à la règle. Il se couche tous les soirs à 9 heures et se lève à 4 heures du matin « pour aller à l’église faire l’oraison qui dure une heure pendant laquelle nous sommes presque toujours à genoux ». Cela est loin de le ravir mais il s’y résout : « je commence à m’y faire, mes genoux ont contracté une dureté qui leur était inconnue avant ce jour ». Il s’emploie aussi aux tâches ménagères de sa chambre dont « les meubles consistent en un prie-Dieu en assez bon état, trois chaises et une table délabrées et un lit dont les rats ont mangé les rideaux… ». La règle, tel qu’il l'apprend à sa sœur, « est de faire son lit tous les jours et de balayer sa chambre deux fois par semaine ». Cependant, comme il l'avoue : « je ne me fatigue pas à remuer mon matelas et ma paillasse, je fais mon lit une seule fois par mois, le jour où on me donne des draps blancs ». Malgré ces contraintes auxquelles il n'a sûrement pas été habitué plus jeune, il affirme encore être « très aise d’être sorti de la maison paternelle, ici je perds l’habitude d’entendre gronder ».

En effet, Pierre Claude est toujours sous la tutelle de son oncle. Son tuteur veille au grain. Il a prévu « une clause » dans une lettre qu’il écrit à son neveu, l'autorisant à correspondre avec sa sœur. Toutefois, son neveu n’a pas d’autre choix que de passer par son autorité et donc d'adresser ses lettres à son domicile, rue Saint Michel à Angers. Pierre Claude vit « sur l’espérance qui est bien consolante pour un cœur qui aime tendrement, de recevoir bientôt des nouvelles de sa sœur

Le 28 Mai 1783, soit un peu plus d’un mois après son entrée à l’Oratoire, il tance sa sœur de ne pas avoir reçu de ses nouvelles. Il ajoute : « tandis que je suis renfermé entre quatre murs, tu galopes en pleine liberté à Beaulieu, au Thoureil ou Angers ». Sans doute force-t-il le trait, car l’Oratoire est loin d’être un couvent de trappistes : [7] Pour former les prêtres, « on y propose un enseignement moderne : le français est introduit comme langue scolaire à la place du latin, les programmes s’ouvrent aux sciences, à la littérature contemporaine, à l’histoire, et à la géographie, y compris humaine… Dans toutes les classes, on a le souci des méthodes pédagogiques, on souhaite échapper à l’ennui des bourrages de crânes. On privilégie l’intelligence sur la mémoire, l’intérêt sur la coercition, la nourriture de l’esprit sur le dressage des réflexes ; il s’agit de digérer, et pas seulement avaler. »

Néanmoins, Pierre Claude s’ennuie. Il songe à quitter l’Oratoire ? : « Pour que le temps me paraisse plus court, je jette mes yeux sur le passé et sur le futur quand je serai sorti de cette demeure où la folie d’Erasme ne trouverait pas son compte ». Cette référence à « l’Eloge de la Folie » d’Erasme [8] aurait-elle pu lui valoir des ennuis ? Dans une époque où de fortes pressions religieuses et politiques tendent, à contrecourant, à interdire certains auteurs [9], « l’Oratoire a toujours refusé unanimement d’adopter, en corps, quelque système philosophique ou théologique, laissant à chacun de ses membres la liberté de pensée dans les questions laissées ouvertes.»

Abbé du dernier tiers du XVIIIème siècle  (source : Buchfreund.de)
Abbé du dernier tiers du XVIIIème siècle (source : Buchfreund.de)

A la veille de la Révolution, les élèves sont loin d'être cloîtrés. Ainsi Pierre Claude précise : « La vie qu’un oratorien mène tient le milieu entre un travail trop continu et une dissipation trop grande : les plaisirs de la société, tels que les festins, les jeux, ne lui sont pas interdits. ». D’ailleurs, ne demande t-il pas à sa sœur de lui envoyer quatre ou cinq paires de bas de soie. Il n’avait sûrement pas besoin de bas pour protéger ses genoux pendant les offices ! Bien qu’il ait endossé la robe, Pierre Claude a le droit de sortir pour des promenades, où il ne doit pas se contenter de lire son bréviaire. Ses courriers ne sont pas licencieux mais les compliments que Pierre Claude charge sa sœur de transmettre à plusieurs demoiselles angevines, sont assez évocateurs : « Je fais force châteaux en Espagne auxquels… Mlle Guilbault, Mlle de Villarmois et Mlle Boilpré ont beaucoup de part ». S’il pense parfois à sa mère avec « un simple respect », il a maintes fois « des pensées… où l’imagination fait bien du chemin » et demande avant tout à Marie Charlotte de transmettre « bien des choses tendres » à la belle LAPATRIE, déjà citée plus haut.

Après trois mois passés dans l’institution, Pierre Claude ose découvrir à sa sœur « le fond de son âme ». Il se sent, dit-il, comme « un arbre qu’on a arraché à son pays natal pour le transplanter dans un jardin inconnu, les soins de toute espèce que lui prodigue un habile jardinier et les rayons d’un nouveau soleil font qu’il produit quelques fruits, mais malgré tous les secours, il se dessèche et ne fait que végéter ». Le 20 Juillet 1783, il écrit encore à sa chère sœur : « je ne me soutiens ici que par l’espérance consolante d’en sortir après la Saint Maurice » : soit le 22 Septembre. Cherche-t-il à apitoyer son oncle qui ne devait, j'imagine, rien ignorer de la teneur des courriers qu'il écrit à sa sœur ? Pierre Claude y parvient car bientôt, il quitte l’Oratoire de Paris pour rejoindre le corps des Oratoriens « dont le père Roi est supérieur à Angers ».

Une auberge aux environs de Paris à la fin du XVIIIème siècle  (source : Wordpress.com)
Une auberge aux environs de Paris à la fin du XVIIIème siècle (source : Wordpress.com)

Epilogue


Parmi les Oratoriens, il y avait des prêtres mais aussi des confrères laïcs. Je ne pense pas que Pierre Claude ait un jour prononcé vœu de chasteté. Après son retour à Angers, les courriers manquent pour savoir combien de temps, Pierre Claude resta chez les Oratoriens d’Angers. Dans un dernier courrier non daté qu'il écrivit depuis Angers à Marie Charlotte, demeurant alors chez sa tante « au Toureil », Pierre Claude annonce son arrivée prochaine : « Le peu de temps que j’ai été à Angers, je me suis bien amusé. Je comptais te donner des nouvelles, … des petites affaires m’ont empêché de satisfaire à ma promesse. Je t’en dirai quelque chose quand j’aurai le plaisir de te voir… Je préfère les plaisirs simples et innocents de la campagne au tumulte et au fracas inséparables des grands festins que l’on donne en ville ». Doit-il fuir à nouveau quelque créancier ? Nous ne le saurons jamais car entre Septembre 1783 et Mars 1793, il n’y a plus trace de correspondance de sa part.

Plutôt que de devenir précepteur de jeunes hobereaux de province, j’ai imaginé que Pierre Claude avait continué de profiter de la vie entre les terres et la maison de sa mère, Marie BARABE à Beaulieu, de celles de sa tante Charlotte au Thoureil ou encore de fréquenter les salons d’Angers, où les PAULMIER étaient invités. La famille PAULMIER, comme d’ailleurs la famille DESMAZIERES, à laquelle elle était apparentée, était favorable aux réformes que la Révolution de 1789 allait engendrer. Ainsi, dans une lettre, Marie Charlotte témoigne de l'exaltation de son frère pour toutes les idées nouvelles, mais aussi de son caractère changeant. Notre lointain cousin était « capable de se jeter à l’étourdie dans les entreprises les plus folles » [10]. Dans un prochain épisode, nous verrons comment Pierre Claude rejoignit la Garde nationale et partit combattre les « brigands » de Vendée.


A suivre prochainement : Pierre Claude dans la Garde nationale angevine.


Notes de fin


[1] Voir le récit « la Pinsonnière » écrit par Maurice JOUBERT à l’occasion du bicentenaire de cette maison en 1997, mais aussi la généalogie dressée par Henri Joubert en 1898.


[2] Dont je conserve une copie dactylographiée sur papier pelure.


[3] Marie Charlotte PAULMIER (1760 - 1845) qui épousa en 1794 Pierre Charles JOUBERT au Thoureil.


[4] A titre de comparaison, d’après les horaires de train, il faut aujourd’hui 1 h 30.en TGV.


[5] Se dit d’un ermite dans le désert.


[6] Pour savoir si Pierre Claude fit vœu de chasteté, il faudrait, je crois, consulter les dossiers individuels des Oratoriens établis par BONNARDET (composition des communautés de 1638 à 1788).


[7] L'Ordre cistercien de la stricte observance, comme son nom l’indique, impliquait une stricte observance des règles de Saint Benoît, soit un retour à une vie monastique de prière, de travail, de silence, etc …


[8] ERASME, en son temps, y développait sa vision humaniste de la Religion catholique, préfigurant la Réforme.


[9] Les liaisons dangereuses (1782), le Mariage de Figaro (1783) sont des ouvrages interdits par la censure, etc…


[10] A l’image du Duc d’ORLEANS, « Ils le savaient futile, versatile, influençable, capable de se jeter à l’étourdie dans les entreprises les plus folles, […] » (Auguste Bailly, Mazarin, Fayard, 1935, p.104) 

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